Flashback : Domino (2005)
Entre les années 80 et 90, de nombreux cinéastes talentueux ont pu profiter d’un Hollywood encore tolérant à investir des sommes importantes pour des high-concept et des projets originaux pour s’imposer avec le temps comme des figures importantes du 7e art.
Parmi ce groupe de cinéastes, un certain Tony Scott, frère de son bon vieux Ridley au style cinématographique suffisamment différent de ce dernier pour que tout débat de comparaison soit inutile. Portant un attachement avec les acteurs et actrices dans ces projets, d’un perfectionnisme similaire à James Cameron, le réalisateur américain a su impressionner avec son cinéma unique en enchainant des grands classiques de tous genres durant ces 27 ans de carrière.
Disparu brutalement en 2012 qui provoqua un profond sentiment de vide au sein d’Hollywood, Tony Scott laisse derrière lui un héritage cinématographique à la fois sous-estimé par le grand public et adulé par des cinéphiles. Bien que son cinéma semble étrangement que citer et réduit avec des œuvres populaires comme Top Gun ou Man on Fire, le regretté réalisateur a pourtant su maintes fois s’épanouir bien plus en réalisant des œuvres plus proches de ces personnages tout en perfectionnant sa mise en scène mémorable.
Marquant un point très singulier dans le parcours de Tony Scott et continuant d’être oublié, le film semi-biographique Domino sorti en 2005 est souvent abordé comme une sorte de monstre étrange dont son créateur n’a pas réussi à le contrôler. L’est-il vraiment ? Que symbolise un film comme celui-ci dans la filmographique quasi sans faute de Tony Scott ? C’est ce que nous allons voir…
Domino Harley, une jeune femme issue d’une famille aisée décide de renoncer à son destin de mannequin pour se plonger dans l’univers des chasseurs de primes. Ayant rapidement su se faire une place dans ce milieu très masculin grâce son charme, son caractère impulsif et l’aide de son mentor, Domino et ses frères d’armes vont être emmêlés dans une spirale folle et dangereuse impliquant la mafia et la police durant un banal contrat.
Il est difficile au premier abord de présenter la forme de ce long métrage si on n’est pas habitué un minimum à un cinéma aussi intense et frénétique visuellement que celui de Tony Scott. En démontrant une sorte de passion infatigable à dévoiler le subconscient de ces protagonistes par le biais d’images superposées les unes sur les autres à partir de Man of Fire, Domino marque un cap important dans la filmographie du réalisateur en amenant son style visuel unique dans sa proposition à la fois la plus radicale et la plus fusionnelle avec le récit et son protagoniste.
Bien que l’histoire puisse se présenter comme biopic restant en surface sur les moments importants de la vie du personnage central, le film va prendre un virage assez fort en épousant littéralement la personnalité et les pensées de Domino ce qui va être le principal moteur de la structure narratif et de la mise en scène du long métrage. Anticonformiste, en conflit interne continuellement, rusé et imprévisible, le personnage joué par Keira Knightley est dans la continuité dans la plupart des protagonistes des précédentes œuvres de Tony Scott et dans un sens proche de ce que représentait le réalisateur au sein d’Hollywood : un être libre qui échappe aux règles d’un système aux multiples rouages.
Optant plus pour un hommage à la personne en elle-même qu’au trajet de son existence, Tony Scott synthétise ce qui représentait Domino à la fois dans la mise en scène du réalisateur et dans l’intégration du personnage en tant que narratrice de sa propre aventure. Ce dernier point amène le semi-biopic à devoir adapter son récit en fonction des interruptions de la chasseuse de primes qui se permet de reprendre la main littéralement sur le film, en revenant sur des faits de l’histoire présentés pour donner son point de vue personnel.
Sur la forme, ce contrôle de Domino sur son propre film au récit en partie fictionnel est représenté par deux façons : par le son où sa voix est utilisée en voix à deux niveaux : l’un avec un son assez clair quand Domino narre l’histoire et l’autre avec un son bien plus intrusif pour exposer ces pensées survenant à n’importe quel moment de l’histoire ; et enfin par l’image où celle-ci peut se décomposer, revenir en arrière, changer de vitesse ou encore schématiser une situation comme si Domino elle-même cherchait à mieux comprendre comme elle a pu finir dans cette situation surréaliste.
Loin d’un simple effet de style et malgré un immense travail à repousser encore plus les limites de son propre cinéma, Tony Scott semble paradoxalement déposséder de son propre long métrage à plusieurs moments où Domino semble vraiment prendre la main sur la narration et le montage. Ce constat se remarque en particulier quand il est question de suivre plusieurs récits qui seront amenés tôt ou tard à se croiser pour aborder le film comme une sorte de puzzle où chaque évènement et personnages sont des pièces de ce dernier. Contrairement à d’autres films où le réalisateur a souvent tendance à montrer au spectateur comment assembler correctement tous les morceaux, Domino va plutôt demander de se mettre au même niveau de son personnage central et de se débrouiller à résoudre seul ce puzzle. Un choix risqué qui amène forcément à perdre une partie de ceux qui visionnent le film et montrer les limites du concept.
En effet à mesure que le film semble se déconstruire sous nos yeux et être rattrapé par son trop plein d’ambitions pour son personnage et l’univers qui l’entoure, Domino n’arrive plus vraiment à suivre son propre rythme effréné ce qui provoque involontairement de la casse, avec par exemple le temps accordé au développement des relations entre les protagonistes principaux.
13e long métrage, Domino est tout aussi identifiable à une expérimentation d’un auteur cherchant à repousser encore plus ses propres limites créatives après 22 ans de carrière au compteur, qu’à une sorte de trip sous acide dont les effets peuvent devenir difficiles à adhérer.
Bide assez conséquent à sa sortie (50 millions de dollars de budget pour à peine 23 millions au box-office mondial) et avec un retour public/presse très négative, les aspects borderlines et imprévisibles du film n’ont clairement pas convaincu en 2006. Bien que certaines critiques soient compréhensibles, il est cependant dommage que peu ont pu y voir une tentative de Tony Scott d’aller plus loin dans l’évolution du langage de son propre cinéma, quitte à en diviser plus d’un. Le résultat final est discutable, mais loin d’être honteux ou irregardable. Œuvre intimement proche de son créateur à plusieurs niveaux, Domino reste encore un film à la fois particulier à appréhender, stimulant pour ces conséquentes idées de mise en scène et important dans la carrière de son réalisateur qui n’avait plus grand-chose à prouver à cette période.
Commentaires
Enregistrer un commentaire